[ADAPTATION] Le réseau sentinelles du bassin versant Brévenne-Turdine

Entre les Monts du Lyonnais et les Monts du Beaujolais se dessine un paysage marqué par la présence de deux rivières, la Brévenne et la Turdine. Au cours des quatre dernières décennies, plusieurs crues torrentielles sont survenues, prenant de court population et élus. Face à ces épisodes traumatisants, les élus du bassin versant Brévenne-Turdine ont confié au Syndicat de rivières Brévenne-Turdine, le SYRIBT, la mission de prévenir et d’atténuer ce risque naturel. Le SYRIBT a ainsi mis en place, depuis plus de 10 ans, un double dispositif : une chaîne de vigilance étendue aux citoyens en tant qu’observateurs de terrain, nommée le réseau « sentinelles », et un système automatisé de surveillance de la hauteur des cours d’eau. Des actions de prévention ont aussi été pensées et sont à encourager dans le contexte du changement climatique où certains risques naturels sont renforcés.

À propos du territoire

Le Pays de l’Arbresle dans le Rhône est, avec trois autres intercommunalités, le fondateur du syndicat de rivières Brévenne-Turdine. Avec 38 000 habitants, sur les 78 000 habitants des 43 communes du bassin versant Brévenne-Turdine, la communauté de communes, située au nord-ouest de Lyon, entre les Monts du Lyonnais et les Monts du Beaujolais, bénéficie d’une certaine attractivité résidentielle. Les parties amont du bassin versant, essentiellement rurales et agricoles, sont caractérisées par un habitat dispersé, tandis que les secteurs situés en aval sont fortement urbanisés et pourvus de nombreuses zones d’activités. Le bassin versant s’étend sur 440 km². La Brévenne et la Turdine, les deux rivières principales, sont maillées par de nombreux affluents. La Turdine se jette dans la Brévenne qui est le dernier affluent d’importance de l’Azergues (bassin versant voisin), elle-même affluent de la Saône. En totalité, le bassin versant Brévenne-Turdine compte 160 km de cours d’eau non domaniaux (leurs lits et leurs berges appartiennent aux propriétaires riverains).

Créé en 2006, le syndicat de rivières Brévenne-Turdine (SYRIBT) exerce la compétence de Gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI). Son périmètre d’intervention répond à une logique géographique : il couvre les 43 communes du bassin versant rattachées aux quatre intercommunalités adhérentes au SYRIBT (la Communauté de communes Pays de l’Arbresle, la Communauté d’agglomération de l’Ouest Rhodanien, la Communauté de communes des Monts du Lyonnais et la Communauté de communes Beaujolais Pierres dorées). Ses missions visent à assurer la qualité de l’eau, la préservation des milieux naturels, la protection de la faune et de la flore, la gestion de la ressource eau et la prévention des inondations.

La collectivité et son projet de territoire durable

En mai 2012, un Plan de prévention des risques naturels d’inondation (PPRNI) à l’échelle globale du bassin versant Brévenne-Turdine a été adopté. Il vise à encadrer l’urbanisation sur l’ensemble des zones inondables, à préserver le champ d’expansion des crues et à participer à une « solidarité » de bassin (en n’augmentant pas les débits en aval).

De 2012 à 2017 un premier Programme d’actions pour la prévention des inondations (le PAPI Brévenne-Turdine labellisé par l’Etat en 2012) a été porté par le SYRIBT. Dans ce cadre, une série d’actions a été menée, visant à favoriser une véritable culture du risque, à améliorer les dispositifs de surveillance, de prévision et d’alerte, à réduire la vulnérabilité des personnes et des biens et à ralentir les écoulements lors des crues. Un budget de 10 M € a été alloué au déploiement de l’ensemble de ces axes.

En juillet 2018, le SYRIBT et l’État ont lancé le second PAPI du bassin versant pour la période 2018-2023. Un budget de 2,5 M € a été consacré aux actions. Parmi les mesures phares, de nouveaux travaux destinés à ralentir le débit en cas de crue sur la Turdine ont été effectués, un nouveau barrage écrêteur de crues a été construit sur la Turdine à l’Arbresle et l’accent a été mis sur la communication, dans l’optique de garder une culture du risque actualisée et une mémoire vivante de la dernière crue centennale (crue du 2 novembre 2008).

Le territoire face au changement climatique

Les phénomènes de crues torrentielles, rapides et très intenses, sont récurrents sur le bassin versant Brévenne-Turdine. Des archives historiques en témoignent dès le 12e siècle. Dans les décennies à venir, ce type de crues torrentielles risque de se produire plus fréquemment sous l’influence des changements climatiques. Ceux-ci augmentent la fréquence des phénomènes extrêmes tels que les orages cévenols.
 


    Face à ces phénomènes, certaines zones du territoire sont très sensibles. C’est le cas de l’agglomération de l’Arbresle, à la confluence de la Brévenne et de la Turdine en aval du bassin versant, par laquelle transitent d’importants volumes importants d’eau. La commune de Sain-Bel, un peu plus en amont sur la Brévenne, et l’agglomération de Tarare-Pontcharra en amont sur la Turdine, sont également très vulnérables face au risque inondation.

    Au cours des dernières décennies, le territoire a connu une série d’inondations qui ont mené à une prise de conscience et un travail de fond sur ce risque naturel :

    • 17 mai 1983 : une crue d’ampleur presque centennale sur la Turdine a duré plusieurs jours et généré d’importants dégâts. Dans un contexte d’urbanisation et d’imperméabilisation des sols, l’événement a surtout rappelé à tous l’existence du risque inondation.
    • 13 novembre 1996 : nouvelle crue, la prise de conscience s’accentue.
    • 10 juin 2000 : un violent orage provoque une crue fulgurante de la Brévenne et ses affluents. Celle-ci est aggravée par la présence d’embâcles et de zones non-entretenues. À cette époque, un premier contrat de rivière est mis en place pour assurer une gestion plus concertée des cours d’eau.
    • 2 et 3 décembre 2003 : la Turdine entre en crue à Pontcharra et la Brévenne inonde l’Arbresle.
    • 2 novembre 2008 : une crue particulièrement traumatisante touche l’agglomération de l’Arbresle / Sain-Bel. La crue survient dans un contexte où les sols et les rivières sont saturés en eau après plusieurs jours de précipitations. En l’espace de 5 à 6 heures, la montée des eaux se produit très vite et très fortement. Avec un débit de 250 m3 par seconde (pour référence, le débit moyen est de 1,54 m3 par seconde), l’inondation est historique, elle dépasse la crue centennale référencée. Les alertes officielles (via la Préfecture et Météo France) interviennent trop tard alors qu’élus, pompiers et citoyens sont déjà sur le terrain. Il n’y a heureusement pas de pertes humaines mais les dégâts matériels touchant les habitations, les véhicules, les commerces, les équipements publics et la voirie sont considérables.

     

    Le réseau de sentinelles : chaîne humaine entre élus et citoyens

    À la lumière de l’événement de 2008, deux éléments ressortent : l’absence d’anticipation et le dispositif d’alerte défaillant ont généré une perte de temps et d’efficacité dans la gestion de la crise. Face à ces constats et à l’ampleur des risques, les élus du bassin versant ont donné mission au SYRIBT de créer un dispositif d’alerte et de prise de décision plus efficace. Ainsi, dès 2011, un système de surveillance automatisé a été installé et un réseau de « sentinelles » basé sur l’observation humaine (élus et citoyens), inspiré d’une initiative déployée sur le bassin voisin de l’Azergues, a été mis en place en des points clés des cours d’eau.

    En parallèle, dans le but de limiter l’impact des prochaines crues torrentielles, des travaux ont été réalisés sur les cours d’eau : recréation du lit majeur dans les zones non-urbanisées pour permettre l’expansion des eaux, construction de barrages écrêteurs de crue sur la Turdine, etc.

    Comment fonctionne le réseau des sentinelles ?

    Le principe du réseau de « sentinelles » consiste en une chaîne d’alerte humaine, partant d’observateurs situés sur le terrain, au bord des cours d’eau, qui alertent leurs élus communaux. Ces sentinelles sont des citoyens volontaires endossant une mission de surveillance des cours d’eau dès l’amont du bassin versant. Ce réseau s’appuie sur l’implication d’élus. Chaque « sentinelle » est chargée de surveiller une portion précise du cours d’eau, proche de son habitation. Il existe 46 sites de surveillance, sur lesquels des échelles de niveau et des repères ont été positionnées pour faciliter la mission de veille.

    Ainsi, la « sentinelle » surveille la montée du niveau de sa portion du cours d’eau et lorsque celui-ci atteint la cote de vigilance ou d’alerte, elle prévient son élu référent (maire ou adjoint) et le syndicat de rivières Brévenne-Turdine. L’élu répercute alors l’information sur les communes plus en aval. La mise en vigilance se transmet depuis l’amont jusqu'à l’aval, en passant par les centres de vigilance (communes du bassin très touchées par les inondations) qui constituent les centres névralgiques de la chaîne. Et c’est ainsi qu’une chaîne d’alerte s’organise, donnant lieu au déclenchement des actions prévues pour maîtriser l’événement et pour protéger les populations. Ce réseau humain s’avère très complémentaire du réseau automatisé et constitue un atout majeur pour l’anticipation des crues.

    Quel bilan ?

    Aujourd’hui, environ 120 personnes (citoyens volontaires et élus) composent le réseau des « sentinelles ».

    Une crue survenue le 22 novembre 2016 a permis d’éprouver l’efficacité des deux systèmes de surveillance et d’alerte. Ceux-ci ont bien joué leur rôle, ainsi les élus de l’aval ont pu bénéficier d’une vision globale du déroulement de l’épisode sur l’ensemble du bassin. Cela leur a permis d’anticiper la gestion de crise (évacuation des parkings, mise en place d’une cellule de crise) et de l’aborder avec plus de sérénité. Toutefois, il s’agissait d’une crue d’ampleur modérée. Etant donné qu’aucune crue majeure ne s’est produite depuis 2008, il importe de maintenir la mobilisation des citoyens engagés dans le réseau sentinelles et de renouveler ses bénévoles.

    « Pour mener à bien un projet similaire, impliquant une chaîne humaine d’observation, il importe de placer les élus au centre du dispositif. Il s’agit avant tout de les aider à prendre les bonnes décisions en cas de crue. De plus, il faut mener dès le départ une réflexion sur la pérennisation du réseau afin que les volontaires demeurent mobilisés et que la surveillance reste active. Et pour nous qui encadrons le réseau « sentinelles », il importe de dégager du temps pour animer, créer des supports, tenir à jour les coordonnées de chacun, rencontrer et former les citoyens et les élus, » explique Betty Cachot, directrice du syndicat de rivières Brévenne-Turdine.

    Un réseau des sentinelles appelé à évoluer vers de nouvelles missions

    Pour mobiliser les membres du réseau des sentinelles, le SYRIBT organise des réunions d’information chaque année, l’occasion aussi d’accueillir de nouveaux bénévoles. Régulièrement, des exercices de crise permettent de tester l’efficacité du dispositif et la vigilance des « troupes ».

    Aujourd’hui, le SYRIBT souhaite aller plus loin afin de créer une mobilisation citoyenne durable. En 2021-2022, le syndicat de rivières s’est engagé dans un projet visant à développer la participation citoyenne sur les enjeux de l’eau. Ce projet vise à sensibiliser, informer, former, impliquer la population dans la préservation des milieux aquatiques et à développer une conscience collective et territoriale de l’environnement. Dans ce contexte, le syndicat de rivières a engagé une réflexion sur la diversification des missions à confier aux « sentinelles ». Outre la surveillance de la montée des eaux, elles pourraient aussi mener des observations ciblées sur les sécheresses, les pollutions, les embâcles, la végétation et la biodiversité. Ces nouvelles missions, propres à enrichir le rôle des sentinelles, sont en cours de définition.

     

    [Page actualisée en août 2023]